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LE BUISSON ARDENT

le lit. Anna regarda, et détourna aussitôt les yeux vers la ruelle. Christophe attendit, puis il demanda :

— Tu ne veux plus ?

Anna se retourna vivement :

— Je veux… Vite !

Elle pensait :

— Rien ne peut plus me sauver maintenant de l’abîme éternel. Un peu plus, un peu moins, ce sera toujours de même.

Christophe chargea maladroitement le revolver.

— Anna, dit-il d’une voix tremblante, l’un des deux verra mourir l’autre.

Elle lui arracha l’arme des mains, et dit avec égoïsme :

— Moi, d’abord.

Ils se regardèrent encore… Hélas ! dans ce moment même où ils allaient mourir l’un pour l’autre, ils se sentaient si loin l’un de l’autre !… Chacun pensait, avec terreur :

— Mais qu’est-ce que je fais ? Qu’est-ce que je fais ?

Et chacun le lisait dans les yeux de l’autre. L’absurdité de l’acte frappait surtout Christophe. Toute sa vie, inutile ; inutiles, ses luttes ; inutiles, ses souffrances ; inutiles, ses espoirs ; tout gâché, jeté au vent ; un geste médiocre allait tout effacer… Dans son