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LA FIN DU VOYAGE

racher. Ce n’était pas aisé. Il devait enlever les quatre grosses vis, encastrées dans le bois. Il n’avait que son couteau ; et il ne voyait rien : car il n’osait pas allumer une bougie ; il eût risqué de faire sauter l’appartement. En tâtonnant, il réussit à introduire son couteau dans la tête d’une vis, puis d’une autre, cassant les lames, se coupant ; il lui semblait que les vis étaient d’une longueur diabolique, qu’il ne finirait jamais de les arracher ; et en même temps, dans sa précipitation fébrile qui lui inondait le corps d’une sueur glacée, un souvenir d’enfance lui revenait à l’esprit : il se revoyait, à dix ans, enfermé par punition dans le cabinet noir ; il avait enlevé la serrure et fui de la maison… La dernière vis céda. La serrure sortit, avec un grésillement de sciure de bois. Christophe se précipita dans la chambre, courut à la fenêtre, l’ouvrit. Une nappe d’air froid entra. Christophe, trébuchant aux meubles, dans l’obscurité trouva le lit, tâtonna, rencontra le corps d’Anna, de ses mains frémissantes palpa à travers les draps les jambes immobiles, remonta jusqu’à la taille : Anna était assise sur son lit, et tremblait. Elle n’avait pas eu le temps d’éprouver les premiers effets de l’asphyxie : la chambre était haute de plafond ; l’air circulait par les