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LA FIN DU VOYAGE

Le jour après qu’Anna eut déjoué le piège ingénieux des cendres, entrant dans la cuisine, le premier objet qu’elle vit, ce fut, dans les mains de Sami, le petit balai dont elle s’était servie, la nuit, pour effacer l’empreinte de ses pieds nus. Elle l’avait pris dans la chambre de Christophe ; et à cette minute même, elle se ressouvint brusquement qu’elle avait oublié de l’y reporter ; elle l’avait laissé dans sa propre chambre, où les yeux perçants de Bäbi l’avaient aussitôt remarqué. Les deux compères n’avaient pas manqué de reconstituer l’histoire. Anna ne broncha point. Bäbi, suivant le regard de sa maîtresse, sourit avec exagération, et expliqua :

— Le balai était cassé ; je l’ai donné à Sami, pour qu’il le réparât.

Anna ne se donna pas la peine de relever le grossier mensonge ; elle ne parut même pas entendre ; elle regarda l’ouvrage de Bäbi, fit ses observations, et sortit, impassible. Mais, la porte fermée, elle perdit toute fierté ; elle ne put s’empêcher d’écouter, cachée dans l’angle du corridor — (elle était humiliée jusqu’à l’âme de recourir à de pareils moyens : la peur la domptait). — Un gloussement de rire très bref. Puis, un chuchotement, si bas qu’on ne pouvait rien dis-