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LA FIN DU VOYAGE

toute la largeur du couloir, sur un espace de deux à trois mètres. C’était Bäbi qui avait, sans le savoir, retrouvé la vieille ruse employée, au temps des lais bretons, par le nain Frocin pour surprendre Tristan se rendant au lit d’Yseut : tant il est vrai qu’un nombre restreint de types, dans le bien comme dans le mal, servent pour tous les siècles. Grande preuve en faveur de la sage économie de l’univers ! — Anna n’hésita point ; elle n’en continua pas moins son chemin, par une sorte de bravade méprisante ; elle entra chez Christophe, ne lui parla de rien, malgré son inquiétude ; mais au retour, elle prit le balai du poêle, et effaça soigneusement sur la cendre la trace de ses pas, après qu’elle eut passé. — Quand Anna et Bäbi se retrouvèrent, dans la matinée, ce fut, l’une avec sa froideur, l’autre avec son sourire accoutumés.

Bäbi recevait parfois la visite d’un parent un peu plus âgé qu’elle ; il remplissait au temple les fonctions de gardien ; on le voyait, à l’heure du Gottesdienst (du service divin), faire sentinelle devant la porte de l’église, avec un brassard blanc à raies noires et gland d’argent, appuyé sur un jonc à bec recourbé. De son métier, il était fabricant de cercueils. Il se nommait Sami Witschi. Il était très grand, maigre, la tête un peu pen-