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LE BUISSON ARDENT

semblables ; mais jamais il n’avait pu en prendre son parti, ni pour lui, ni pour les autres. Il avait l’horreur de cette misère, où la vie de sa chère Antoinette s’était consumée. Après qu’il avait épousé Jacqueline, quand il s’était laissé amollir par la richesse et par l’amour, il avait eu hâte d’écarter le souvenir des tristes années où sa sœur et lui s’épuisaient à gagner, chaque jour, leur droit à vivre le lendemain, sans savoir s’ils y réussiraient. Ces images reparaissaient, à présent qu’il n’avait plus son égoïsme juvénile à sauvegarder. Au lieu de fuir le visage de la souffrance, il se mit à sa recherche. Il n’avait pas beaucoup de chemin à faire pour la trouver. Dans son état d’esprit, il devait la voir partout. Elle remplissait le monde. Le monde, cet hôpital… Ô douleurs d’agonies ! Douleurs de chair blessée, pantelante, qui pourrit vivante. Silencieuses tortures des cœurs que le chagrin consume. Enfants qu’on n’aime point, pauvres filles sans espoir, femmes séduites ou trahies, hommes déçus dans leurs amitiés, leurs amours et leur foi, troupe lamentable des malheureux que la vie a meurtris et qu’elle oublie !… Le plus atroce n’était pas la misère et la maladie ; c’était la cruauté des hommes, les uns envers les autres. À peine Olivier eut-il levé la trappe