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LE BUISSON ARDENT

n’étaient pas seuls ; la domestique allait et venait ; ils devaient se surveiller. Christophe cherchait en vain le regard d’Anna. Elle ne regardait personne. Nul indice de trouble, et toujours dans ses moindres mouvements cette assurance et cette noblesse inhabituelles. Après dîner, il espéra qu’ils pourraient enfin causer ; mais la domestique s’attardait à desservir ; et lorsqu’ils passèrent dans la chambre voisine, elle s’arrangea de façon à les y suivre ; elle avait toujours quelque chose à prendre ou à rapporter ; elle furetait dans le corridor, près de la porte entr’ouverte, qu’Anna ne se pressait point de fermer : on eût dit qu’elle les épiait. Anna s’assit près de la fenêtre, avec son éternel ouvrage. Christophe, enfoncé dans un fauteuil, le dos tourné au jour, avait un livre ouvert, qu’il ne lisait pas. Anna, qui pouvait l’entrevoir de profil, aperçut d’un coup d’œil son visage tourmenté, qui regardait le mur ; et elle sourit, cruelle. Du toit de la maison, de l’arbre du jardin, la neige qui fondait s’égouttait sur le sable avec un tintement fin. Au loin, des rires d’enfants qui se poursuivaient dans la rue, à coups de boules de neige. Anna semblait assoupie. Le silence torturait Christophe ; il eût crié de souffrance.

Enfin, la domestique descendit à l’étage