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LA FIN DU VOYAGE

tourait. La frénésie sacrée de la musique les emporta dans ses serres…


Ô musique, qui ouvres les abîmes de l’âme ! Tu ruines l’équilibre habituel de l’esprit. Dans la vie ordinaire, les âmes ordinaires sont des chambres fermées ; se fanent, au dedans, les forces sans emploi, les vertus et les vices dont l’usage nous gêne ; la sage raison pratique, le lâche sens commun, tiennent les clefs de la chambre. Ils n’en montrent que quelques placards, bourgeoisement rangés Mais la musique tient le magique rameau qui fait tomber les serrures. Les portes s’ouvrent. Les démons du cœur paraissent. Et l’âme se voit nue, pour la première fois. — Tant que chante la sirène, tant que vibre sa voix ensorcelante, le dompteur tient sous son regard les fauves. La puissante raison d’un grand musicien fascine les passions qu’il déchaîne. Mais quand la musique s’est tue, quand le dompteur n’est plus là, les passions qu’il a réveillées continuent de gronder dans la cage ébranlée, et elles cherchent leur proie…


La mélodie finit. Silence… Elle avait, en chantant, appuyé sa main sur l’épaule de Christophe. Ils n’osaient plus remuer ; et ils