Page:Rolland - Jean-Christophe, tome 9.djvu/245

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

229
LE BUISSON ARDENT

— D’être damnée ?

Sa figure se glaça.

— Il ne faut pas parler de cela, dit-elle.

Il détourna la conversation. Il admira la force qu’elle avait montrée tout à l’heure, en luttant. Elle reprit son expression confiante et raconta ses prouesses de fillette — (elle disait : « de garçon », car, lorsqu’elle était enfant, elle eût voulu se mêler aux jeux et aux batailles des garçons). — Une fois, se trouvant avec un petit camarade, plus grand qu’elle de toute la tête, elle lui avait brusquement lancé un coup de poing, espérant qu’il répondrait. Mais il s’était sauvé, en criant qu’elle le battait. Une autre fois, à la campagne, elle avait grimpé sur le dos d’une vache noire qui paissait ; la bête effarée l’avait jetée contre un arbre : Anna avait failli se tuer. Elle s’avisa aussi de sauter de la fenêtre d’un premier étage, parce qu’elle s’était défiée elle-même de le faire : elle eut la chance d’en être quitte, avec une entorse. Elle inventait des exercices bizarres et dangereux, quand on la laissait seule à la maison ; elle soumettait son corps à des épreuves étranges et variées.

— Qui croirait cela de vous, dit-il, quand on vous voit si grave ?…

— Oh ! dit-elle, si l’on me voyait, certains