Page:Rolland - Jean-Christophe, tome 9.djvu/240

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

224
LA FIN DU VOYAGE

elle aimait la campagne, quelle qu’elle fût, — la terre et l’air. Seulement, elle ne s’en doutait pas plus que de ses autres sentiments les plus forts ; et qui vivait avec elle s’en doutait encore moins.


À force d’insister, Braun décida sa femme à faire une course d’une journée aux environs. Elle céda par ennui, afin d’avoir la paix. On arrangea la promenade pour un dimanche. Au dernier moment, le docteur, qui s’en faisait une joie enfantine, fut retenu par un cas de maladie urgente. Christophe partit avec Anna.

Un beau temps d’hiver, sans neige : air pur et froid, ciel clair, grand soleil, avec une bise glacée. Ils prirent un petit chemin de fer local, qui rejoignait une de ces lignes de collines bleues formant autour de la ville une lointaine auréole. Leur compartiment était plein ; ils furent séparés l’un de l’autre. Ils ne se parlaient pas. Anna était sombre ; la veille, elle avait déclaré, à la surprise de Braun, qu’elle n’irait pas au culte du lendemain. Pour la première fois de sa vie, elle y manquait. Était-ce une révolte ?… Qui eût pu dire les combats qui se livraient en elle ? Elle regardait fixement la banquette devant elle ; elle était blême ; elle se rongeait.