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LE BUISSON ARDENT

dérât l’enfant comme coupable du péché de ses parents et qu’elle s’acharnât à poursuivre le péché en elle. Elle ne lui permit aucune distraction ; elle traquait la nature, comme un crime, dans ses gestes, ses paroles, jusque dans ses pensées. Elle tua la joie dans cette jeune vie. Anna fut habituée, de bonne heure, à s’ennuyer au temple et à ne pas le montrer ; elle fut environnée des terreurs de l’enfer ; ses yeux d’enfant aux paupières sournoises les voyaient, chaque dimanche, à la porte du vieux Münster, sous la forme des statues immodestes et contorsionnées qu’un feu brûle entre les jambes et sur qui montent, le long des cuisses, des crapauds et des serpents. Elle s’accoutuma à refouler ses instincts, à se mentir à elle-même. Dès qu’elle fut d’âge à aider sa grand’mère, elle fut employée, du matin au soir, dans le triste et obscur magasin. Elle prit les habitudes qui régnaient autour d’elle, cet esprit d’ordre, d’économie morose, de privations inutiles, cette indifférence ennuyée, cette conception méprisante et maussade de la vie, qui est la conséquence naturelle des croyances religieuses chez ceux qui ne sont pas naturellement religieux. Elle s’absorba dans la dévotion, au point de paraître exagérée même à la vieille femme ; elle abusait des jeûnes et