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LE BUISSON ARDENT

les choses qu’après qu’elles sont passées. Mais alors, rien ne leur échappe, les moindres détails sont gravés au burin. Olivier était ainsi : il était peuplé d’ombres des vivants. Au choc d’une émotion, elles surgissaient ; et Olivier s’étonnait, les reconnaissait sans les avoir connues, parfois tendait les mains pour les saisir… Trop tard.

Un jour, en sortant de chez lui, il vit un rassemblement devant la porte de la maison, autour de la concierge qui pérorait. Il était si peu curieux qu’il eût continué son chemin sans s’informer ; mais la concierge, désireuse de recruter un auditeur de plus, l’arrêta, pour lui demander s’il savait ce qui était arrivé à ces pauvres Roussel. Olivier ne savait même pas qui étaient « ces pauvres Roussel » ; et il prêta l’oreille, avec une indifférence polie. Quand il apprit qu’une famille d’ouvriers, père, mère et cinq enfants venait de se suicider de misère, dans sa maison, il resta comme les autres à regarder les murs de la bâtisse, en écoutant la narratrice qui ne se lassait pas de recommencer l’histoire. À mesure qu’elle parlait, des souvenirs lui revenaient, il s’apercevait qu’il avait vu ces gens ; il posa quelques questions… Oui, il les reconnaissait : l’homme — (il entendait sa respiration sifflante dans l’escalier) — un ou-