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LE BUISSON ARDENT

blement. Braun courut hors de la maison, nu-tête ; il ramassa la loque sanglante et il tâchait au moins de soulager ses souffrances. Anna vint, regarda sans se baisser, fit une moue dégoûtée, et s’en alla. Braun, les larmes aux yeux, assistait à l’agonie du petit être. Christophe se promenait à grands pas dans le jardin, et crispait les poings. Il entendit Anna qui donnait tranquillement des ordres à la domestique. Il ne put s’empêcher de lui dire :

— Cela ne vous fait donc rien, à vous ?

Elle répondit :

— On n’y peut rien, n’est-ce pas ? C’est mieux de n’y pas penser.

Il se sentit de la haine pour elle ; puis, le burlesque de la réponse le frappa ; et il rit. Il se disait qu’Anna devrait bien lui donner sa recette pour ne pas penser aux choses tristes, et, que la vie était aisée à ceux qui ont la chance d’être dénués de cœur. Il songea que si Braun mourait, Anna n’en serait guère troublée, et il se félicita de n’être point marié. Sa solitude lui semblait moins triste que cette chaîne d’habitudes qui vous attache pour la vie à un être pour qui vous êtes un objet de haine, ou, ce qui est pire, pour qui vous n’êtes rien. Décidément, cette femme n’aimait personne. Elle existait à peine. Le piétisme l’avait desséchée.