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LA FIN DU VOYAGE

tricotant de ses quatre pattes qui grattaient la terre si vite qu’elles semblaient voltiger. De temps en temps, elle s’arrêtait, fière d’aller plus vite ; et elle le regardait, bien cambrée, la poitrine en avant. Elle faisait l’importante ; elle aboyait furieusement à un morceau de bois ; mais dès qu’elle apercevait au loin un autre chien, elle fuyait à toute vitesse, et se réfugiait, tremblante, entre les jambes de Christophe. Christophe s’en moquait et l’aimait. Depuis qu’il s’éloignait des hommes, il se sentait plus rapproché des bêtes ; il les trouvait pitoyables et touchantes. Ces pauvres animaux, lorsqu’on est bon pour eux, s’abandonnent à vous avec tant de confiance ! L’homme est tellement le maître de leur vie et de leur mort que celui qui fait du mal à ces faibles qui lui sont livrés commet un abus de pouvoir abominable.

Si aimante que la gentille bête fût pour tous, elle avait une préférence marquée pour Anna. Celle-ci ne faisait rien pour l’attirer ; mais elle la caressait volontiers, la laissait se blottir sur ses genoux, veillait à sa nourriture, et paraissait l’aimer autant qu’elle était capable d’aimer. Un jour, la chienne ne sut pas se garer des roues d’un automobile. Elle fut écrasée, presque sous les yeux de ses maîtres. Elle vivait encore et criait lamenta-