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LE BUISSON ARDENT

leurs, elle aimait l’intelligence. Les idées avancées ne l’inquiétaient point : elle savait que sur ses fils elles resteraient sans influence. Elle témoignait à ses hôtes une bonhomie glacée, qui les tenait à distance.

Christophe n’avait pas besoin qu’on insistât. Il se trouvait dans un état de sensibilité frémissante, où son cœur était à nu : il n’était que trop disposé à voir partout l’égoïsme et l’indifférence, et à se replier sur soi.

De plus, la clientèle de Braun, le cercle fort restreint, auquel appartenait sa femme, faisaient partie d’un petit monde protestant, particulièrement rigoriste. Christophe y était doublement mal vu, comme papiste d’origine et comme incroyant de fait. De son côté, il y trouvait beaucoup de choses qui le choquaient. Il avait beau ne plus croire, il portait en lui la marque séculaire de son catholicisme, plus poétique que raisonné, plus indulgent à la nature, et qui ne se tourmentait pas tant d’expliquer ni de comprendre que d’aimer ou de n’aimer point ; et il portait aussi les habitudes de liberté intellectuelle et morale qu’il avait sans le savoir ramassées à Paris. Il devait fatalement se heurter à ce petit monde piétiste, où s’accusaient avec exagération les défauts d’esprit du calvinisme : un rationalisme religieux, qui cou-