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LA FIN DU VOYAGE

d’amener des éclats scandaleux) : — ils l’accaparaient. Peintre, ils le mettaient au musée ; penseur, dans les bibliothèques. Il avait beau s’époumonner à dire des énormités : ils affectaient de ne pas l’entendre. En vain, protestait-il de son indépendance : ils se l’incorporaient. Ainsi, l’effet du poison était neutralisé : c’était le traitement par l’homéopathie. — Mais ces cas étaient rares, la plupart des révoltes n’arrivaient pas au jour. Ces paisibles maisons renfermaient des tragédies inconnues. Il arrivait qu’un de leurs hôtes s’en allât, de son pas tranquille, sans autre explication, se jeter dans le fleuve. Ou bien l’on s’enfermait pour six mois, on enfermait sa femme dans une maison de santé, afin de se remettre l’esprit. On en parlait sans gêne, comme d’une chose naturelle, avec cette placidité qui était un des beaux traits de la ville, et qu’on savait garder vis-à-vis de la souffrance et de la mort.

Cette solide bourgeoisie, sévère pour elle-même parce qu’elle savait son prix, l’était moins pour les autres parce qu’elle les estimait moins. À l’égard des étrangers qui séjournaient dans la ville, comme Christophe, des professeurs allemands, des réfugiés politiques, elle se montrait même assez libérale : car ils lui étaient indifférents. Et d’ail-