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LA FIN DU VOYAGE

Braun et Christophe causaient. Anna travaillait. Sur les prières de Braun, Christophe avait consenti à se remettre au piano ; et il jouait parfois jusqu’à une heure avancée, dans le grand salon mal éclairé qui donnait sur le jardin. Braun était dans l’extase… Qui ne connaît de ces gens passionnés pour des œuvres qu’ils ne comprennent point, ou qu’ils comprennent à rebours ! — (c’est bien pour cela qu’ils les aiment !) — Christophe ne se fâchait plus ; il avait déjà rencontré tant d’imbéciles dans la vie ! Mais, à certaines exclamations d’un enthousiasme saugrenu, il cessait de jouer et il remontait dans sa chambre, sans rien dire. Braun finit par comprendre, et il mit une sourdine à ses réflexions. D’ailleurs, son amour pour la musique était vite repu ; il n’en pouvait écouter avec attention plus d’un quart d’heure de suite ; il prenait son journal, ou bien il somnolait, laissant Christophe tranquille. Anna, assise au fond de la chambre, ne disait mot ; elle avait un ouvrage sur les genoux, et semblait travailler ; mais ses yeux étaient fixes et ses mains immobiles. Parfois, elle sortait sans bruit au milieu du morceau, et on ne la revoyait plus.