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LA FIN DU VOYAGE

ceux qu’on a perdus, tant que leur perte nous déchire. Ils reparaissent plus tard, quand l’oubli vient.

Cependant, la vie du dehors s’infiltrait peu à peu dans ce tombeau de l’âme. Christophe commença par réentendre les divers bruits de la maison et s’y intéresser sans qu’il s’en aperçût. Il sut à quelle heure la porte s’ouvrait et se fermait, combien de fois dans la journée, et de quelles façons différentes, suivant les visiteurs. Il connut le pas de Braun ; il s’imaginait voir le docteur, au retour de ses visites, arrêté dans le vestibule, et accrochant son chapeau et son manteau, toujours de la même manière méticuleuse et maniaque. Et lorsqu’un des bruits accoutumés cessait de se faire entendre dans l’ordre prévu, il cherchait malgré lui la raison du changement. À table, il se mit à écouter machinalement la conversation. Il s’aperçut que Braun parlait presque toujours seul. Sa femme ne lui faisait que de brèves répliques. Braun n’était pas troublé du manque d’interlocuteurs ; il racontait, avec une bonhomie bavarde, les visites qu’il venait de faire et les commérages recueillis. Il arriva que Christophe le regardât, tandis que Braun parlait ; Braun en était tout heureux, et s’ingéniait à l’intéresser.