Page:Rolland - Jean-Christophe, tome 9.djvu/182

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

166
LA FIN DU VOYAGE

avec impatience cette fois, ses mouvements gauches et guindés. Pourtant, il lui était reconnaissant de ne pas essayer de parler. — Il le fut encore plus, quand il eut à subir, après son départ, l’assaut du docteur, qui venait de s’apercevoir que Christophe n’avait pas touché à son premier repas. Indigné contre sa femme de ce qu’elle ne l’eût pas fait manger de force, il voulait y contraindre Christophe. Pour avoir la paix, Christophe dut avaler quelques gorgées de lait. Après quoi, il lui tourna le dos.

La seconde nuit fut plus calme. Le lourd sommeil recouvrit Christophe de son néant. Plus de trace de l’odieuse vie. — Mais le réveil fut plus asphyxiant encore. Il se remémorait tous les détails de la fatale journée, la répugnance d’Olivier à sortir de la maison, ses instances pour rentrer, et il se disait avec désespoir :

« C’est moi qui l’ai tué. »…

Impossible de rester seul, enfermé, immobile, sous la griffe du sphinx aux yeux féroces, qui continuait de lui souffler au visage le vertige de ses questions, avec son souffle de cadavre. Il se leva, fiévreux ; il se traîna hors de la chambre, il descendit l’escalier ; il avait le besoin instinctif et peureux de se serrer contre d’autres hommes. Et dès