Page:Rolland - Jean-Christophe, tome 9.djvu/149

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

133
LE BUISSON ARDENT

quelques bousculades, et qui, d’un œil expert, surveillait le moment où le vase allait déborder. Plus loin, la belle Berthe, qui échangeait des mots verts avec ses voisins, en se faisant peloter. Elle avait réussi à se glisser au premier rang, et elle s’enrouait à insulter les agents. Coquard s’approcha de Christophe. Christophe, en le voyant, retrouva sa gouaillerie :

— Qu’est-ce que j’avais dit ? Il ne se passera rien du tout.

— Savoir ! dit Coquard. Ne restez pas trop là. Ça ne tardera pas à se gâter.

— Quelle blague ! fit Christophe.

À ce moment précis, les cuirassiers, lassés de recevoir des pierres, avancèrent pour déblayer les entrées de la place ; les brigades centrales marchaient devant, au pas de course. Aussitôt, la débandade commença. Selon le mot de l’Évangile, les premiers furent les derniers. Mais ils s’appliquèrent à ne pas le rester longtemps. Pour se dédommager de leur déroute, les fuyards furieux huaient ceux qui les poursuivaient, et criaient : « Assassins ! » avant que le premier coup eût été porté. Berthe filait entre les rangs, comme une anguille, et poussait des cris aigus. Elle rejoignit ses amis ; et à l’abri derrière le vaste dos de Coquard, elle