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LE BUISSON ARDENT

minutes avant, il niait la possibilité d’un mouvement populaire. À peine avait-il mis la jambe dans le courant qu’il avait été happé : étranger à cette foule française et à ses revendications, il s’y était subitement fondu ; peu lui importait ce qu’elle voulait : il voulait ; peu lui importait où il allait : il allait, respirant ce souffle de démence.


Olivier suivait, entraîné, mais sans joie, lucide, ne perdant jamais la conscience de soi, mille fois plus étranger que Christophe aux passions de ce peuple qui était le sien, et emporté pourtant par elles, comme une épave. La maladie, qui l’avait affaibli, détendait ses liens avec la vie. Qu’il se sentait loin de ces gens !… Comme il était sans délire et que son esprit était libre, les plus petits détails des choses s’inscrivaient en lui. Il regardait avec délices la nuque dorée d’une fille devant lui, son cou pâle et fin. Et en même temps, l’acre odeur qui fermentait de ces corps entassés l’écœurait.

— Christophe ! supplia-t-il.

Christophe n’écoutait pas.

— Christophe !

— Hé ?

— Rentrons.

— Tu as peur ? dit Christophe.