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LA FIN DU VOYAGE

Le petit était déçu que ce fût pour si tard.

— Est-ce que cela ne te fait pas plaisir de penser qu’on travaille pour donner le bonheur à des milliers de garçons comme toi, à des millions d’êtres ?

Emmanuel soupira, et dit :

— Ça serait pourtant bon, d’avoir un peu de bonheur, soi-même.

— Mon petit, il ne faut pas être un ingrat. Tu vis dans la plus belle ville, dans l’époque la plus riche en merveilles ; tu n’es pas bête, et tu as de bons yeux. Pense à ce qu’il y a de choses à voir et à aimer autour de soi.

Il lui en montra quelques-unes.

L’enfant écoutait, hocha la tête, et dit :

— Oui, mais se dire qu’on sera toujours enfermé dans cette peau !

— Mais non, tu en sortiras.

— Et alors, ce sera fini.

— Qu’est-ce que tu en sais ?

Le petit fut stupéfait. Le matérialisme faisait partie du credo du grand-père ; il pensait qu’il n’y avait que les calotins qui crussent à une vie éternelle. Il savait que son ami ne l’était point ; et il se demanda si Olivier parlait sérieusement. Mais Olivier, le tenant par la main, lui parla longuement de sa foi idéaliste, de l’unité de la vie sans limites, qui n’a ni commencement ni fin, et dont les