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LE BUISSON ARDENT

femmes qui portent culotte ; et il se gaussait de son ami, qui se laissait mettre sous la pantoufle. De vrai, il n’avait pas lieu de faire le malin : car lui-même avait été affligé pendant vingt ans d’une femme acariâtre et sobre, qui le traitait de vieux pochard, et devant qui il baissait la crête. Mais il se gardait d’en faire mention. Le papetier, un peu honteux, se défendait mollement, professant d’une langue pâteuse une tolérance à la Kropotkine.

Rainette et Emmanuel étaient amis. Depuis leur petite enfance, ils se voyaient, chaque jour. Pour ne pas mentir, Emmanuel osait rarement se glisser dans la maison. Mme Alexandrine le regardait d’un mauvais œil, comme petit-fils d’un mécréant et comme sale petit gniaf. Mais Rainette passait ses journées sur une chaise longue près de la fenêtre, au rez-de-chaussée. Emmanuel tambourinait aux carreaux, en passant ; et, le nez écrasé contre la vitre, il grimaçait un bonjour. En été, quand la fenêtre restait ouverte, il s’arrêtait, les bras appuyés un peu haut sur la barre de la fenêtre ; — (il s’imaginait que cette pose l’avantageait, que ses épaules remontées dans une attitude familière donnaient le change sur sa difformité réelle) ; — ils causaient. Rainette, qui n’était pas gâtée par les visites, ne songeait plus à