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Le père Feuillet avait un vieil ami, Trouillot, le papetier, de l’autre côté de la rue. Une papeterie-mercerie, où l’on voyait, à la devanture, des bonbons roses et verts dans des bocaux, et des poupées en carton sans bras ni jambes. D’un trottoir à l’autre, l’un sur le pas de sa porte, l’autre dans son échoppe, ils échangeaient des clignements d’yeux, des hochements de tête, et autres pantomimes variées. À certaines heures, quand le savetier était las de taper et qu’il avait, comme il disait, la crampe dans les fesses, ils se hélaient, La Feuillette de son gueuloir glapissant, Trouillot d’un mugissement indistinct, comme un veau enroué ; et ils allaient ensemble siroter un verre au comptoir voisin. Ils ne se pressaient pas de revenir. C’étaient de sacrés bavards. Ils se connaissaient depuis près d’un demi-siècle. Le papetier avait joué, lui aussi, son petit bout de rôle dans le grand mélodrame de 1871. On ne s’en serait pas douté, à voir ce

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