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LES AMIES

Elle n’avait pas été gâtée par la vie. Elle savait le prix d’un peu de bien-être qu’on a gagné par ses propres efforts, — la joie d’un petit plaisir, d’un petit progrès imperceptible dans sa situation ou dans son talent. Oui, si seulement elle gagnait cinq francs de plus, ce mois-ci, que le mois précédent, ou si elle arrivait à bien faire enfin ce passage de Chopin, qu’elle s’évertuait à jouer depuis des semaines, — elle était contente. Son travail, qui n’était pas excessif, répondait exactement à ses aptitudes, et la satisfaisait comme une hygiène raisonnable. Jouer, chanter, donner des leçons lui procurait une agréable impression d’activité satisfaite, normale et régulière, en même temps qu’une aisance moyenne et un succès tranquille. Elle avait un solide appétit, mangeait bien, dormait bien, et n’était jamais malade.

D’esprit droit, sensé, modeste, parfaitement équilibré, elle ne se tourmentait de rien : car elle vivait dans le moment présent, sans se soucier de ce qu’il y avait eu avant et de ce qu’il y aurait après. Et comme elle était bien portante, comme sa vie était relativement à l’abri des surprises du sort, elle se trouvait presque toujours satisfaite. Elle avait plaisir à étudier son piano, comme à faire son mé-