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LA FIN DU VOYAGE

C’était une jeune fille d’un peu plus de vingt-cinq ans, musicienne, premier prix de piano au Conservatoire : elle se nommait Cécile Fleury. Elle était courte de taille, assez trapue. Elle avait des sourcils épais, de beaux yeux larges, au regard humide, le nez petit et gros, au bout relevé, un peu rouge, en bec de canard, des lèvres grosses, bonnes et tendres, le menton énergique, solide, gras, le front point haut, mais large. Les cheveux étaient roulés sur la nuque en un chignon abondant. Elle avait des bras forts, et des mains de pianiste, grandes, au pouce écarté, aux bouts carrés. De l’ensemble de sa personne se dégageait une impression générale de sève un peu lourde, de santé rustique. Elle vivait avec sa mère, qu’elle chérissait : bonne femme, ne s’intéressant nullement à la musique, mais qui en parlait, à force d’en entendre parler, et qui savait tout ce qui se passait dans Musicopolis. Elle avait une vie médiocre, donnait des leçons tout le jour, et parfois des concerts, dont personne ne rendait compte. Elle rentrait tard, à pied, ou par l’omnibus, exténuée, mais de bonne humeur ; et elle faisait vaillamment ses gammes et ses chapeaux, causant beaucoup, aimant rire, et chantant souvent, pour rien.