Page:Rolland - Jean-Christophe, tome 8.djvu/82

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

72
LA FIN DU VOYAGE

chez elle, dans des maisons de santé fort coûteuses, où elle exécutait avec dévotion des prescriptions puériles. Elle avait oublié sa fille et son mari.

M. Langeais, moins indifférent, commençait à soupçonner l’intrigue. Sa jalousie paternelle l’avertissait. Il avait pour Jacqueline cette affection trouble et pure, que bien des pères éprouvent pour leurs filles, mais qu’ils n’avouent guère, ce sentiment indéfinissable, cette curiosité mystérieuse, voluptueuse, quasi sacrée, de revivre en des êtres de son sang, qui sont soi, et qui sont femmes. Il y a, dans ces secrets du cœur, bien des ombres et des lumières qu’il est sain d’ignorer. Jusqu’alors, il s’était amusé de voir sa fille rendre amoureux les petits jeunes gens : il l’aimait ainsi, coquette, romanesque, et pourtant avisée — (comme il était lui-même). — Mais quand il vit que l’aventure menaçait de devenir plus sérieuse, il s’inquiéta. Il commença par se moquer d’Olivier devant Jacqueline, puis il le critiqua avec une certaine âpreté, Jacqueline en rit d’abord, et dit :

— N’en dis pas tant de mal, papa ; cela te gênerait plus tard, si je voulais l’épouser.

M. Langeais poussa les hauts cris ; il la traita de folle. Bon moyen pour qu’elle le