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LA FIN DU VOYAGE

cancer humain qui ronge les autres hommes.

Olivier riait :

— Que veux-tu ? disait-il. Je ne puis pourtant pas cesser d’aimer Jacqueline, parce qu’elle n’est pas pauvre, ni l’obliger à l’être, pour l’amour de moi.

— Eh bien, si tu ne peux pas la sauver, au moins sauve-toi toi-même. Et c’est encore la meilleure façon de la sauver. Garde-toi pur. Travaille.

Olivier n’avait pas besoin que Christophe lui communiquât ses scrupules. Plus encore que lui, il avait l’âme chatouilleuse. Non qu’il prît au sérieux les boutades de Christophe contre l’argent : il avait été riche lui-même, il ne détestait point la richesse, et il trouvait qu’elle allait bien à la jolie figure de Jacqueline. Mais il lui était insupportable qu’on pût mêler à l’idée de son amour un soupçon d’intérêt. Il demanda à rentrer dans l’Université. Il ne pouvait plus espérer, pour l’instant, qu’un poste médiocre dans un lycée de province. C’était là un triste cadeau de noces à offrir à Jacqueline. Il lui en parla timidement. Jacqueline eut d’abord quelque peine à admettre ses raisons : elle les attribuait à un amour-propre exagéré, que Christophe lui avait mis en tête, et qu’elle trouvait ridicule :