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LES AMIES

vures de modes poétiques, — des amours pour des acteurs, des virtuoses, des auteurs morts ou vivants, Mounet-Sully, Samain, Debussy, — les regards échangés avec des jeunes gens inconnus, au concert, dans un salon, dans la rue, et les passionnettes aussitôt ébauchées, en idée, — un besoin perpétuel de s’éprendre sans cesse, d’être toujours remplies d’un amour, d’un prétexte à aimer. Jacqueline et Simone se confiaient tout : preuve évidente qu’elles ne sentaient pas grand’chose ; c’était même le meilleur moyen pour n’avoir jamais un sentiment profond. En revanche, cela tournait à l’état de maladie chronique, dont elles étaient les premières à se moquer, mais qu’elles cultivaient amoureusement. Elles s’exaltaient l’une l’autre. Simone, plus romanesque et plus prudente, imaginait plus d’extravagances. Mais Jacqueline, plus sincère et plus ardente, était plus près de les réaliser. Vingt fois, elle faillit commettre les pires sottises. — Toutefois, elle ne les commit point, ainsi que c’est le cas ordinaire chez les adolescents. Il y a des heures où ces pauvres petites bêtes affolées — (que nous avons tous été) — sont à deux doigts de se jeter, ceux-ci dans le suicide, celles-là dans les bras du premier venu. Seu-