Page:Rolland - Jean-Christophe, tome 8.djvu/43

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

33
LES AMIES

abîmes de perversité ; elles les copiaient ; elles s’interrogeaient sur le sens caché de passages, qui parfois n’en avaient pas. Ces petites bonnes femmes de treize ans, innocentes et effrontées, qui ne savaient rien de l’amour, discutaient, moitié rieuses, moitié sérieuses, sur l’amour et la volupté ; et elles griffonnaient sur leur buvard, en classe, sous l’œil paterne du professeur, — un vieux papa très doux et très poli, — des vers comme ceux-ci, qu’il saisit un jour, et dont il fut suffoqué :

Laissez, oh ! laissez-moi vous tenir enlacées,
Boire dans vos baisers des amours insensées,
Goutte à goutte et longtemps !…

Elles suivaient les cours d’une institution mondaine et richement achalandée, dont les professeurs étaient des maîtres de l’Université. Elles y trouvèrent l’emploi de leurs aspirations sentimentales. Presque toutes ces petites filles étaient amoureuses de leurs professeurs. Il suffisait qu’ils fussent jeunes et pas trop mal tournés, pour faire des ravages dans les cœurs. Elles travaillaient comme des anges, pour se faire bien voir de leur sultan. C’étaient des pleurs, quand, aux compositions, on était mal classée par lui, — par