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LES AMIES

qui il n’avait plus pensé depuis des années, à peine la retrouvait-il qu’il lui semblait qu’elle était à lui, qu’elle était son bien, et que si un autre l’avait prise, c’est qu’on la lui avait volée : elle-même n’avait pas le droit de se donner à un autre. Christophe ne se rendait pas compte de ce qui se passait en lui. Mais son démon créateur s’en rendait compte pour lui, et enfanta, ces jours-là, certains de ses plus beaux chants de douloureux amour.

Assez longtemps il resta sans la revoir. La peine et la santé d’Olivier l’obsédaient. Un jour enfin, retrouvant l’adresse qu’elle lui avait laissée, il se décida.

En montant l’escalier, il entendit des marteaux d’ouvriers qui clouaient. L’antichambre était en désordre, encombré de caisses et de malles. Le valet répondit que la comtesse n’était pas visible. Mais comme Christophe déçu se retirait après avoir remis sa carte, le domestique courut après lui, et le fit rentrer en s’excusant. Christophe fut introduit dans un petit salon, dont les tapis étaient enlevés et roulés. Grazia vint au-devant de lui, avec son lumineux sourire, la main tendue dans un élan de joie. Toutes les sottes rancunes s’évanouirent. Il saisit cette main