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LES AMIES

l’écarter à son tour de Christophe, et lui souffler l’envie de lui crier :

— Va-t’en !

Ainsi, le malheur sépare souvent les cœurs qui s’aiment. Comme le vanneur trie le grain, il met d’un côté ce qui veut vivre, de l’autre ce qui veut mourir. Terrible loi de vie, plus forte que l’amour ! La mère qui voit mourir son fils, l’ami qui voit son ami se noyer, — s’ils ne peuvent les sauver, n’en continuent pas moins de se sauver soi-mêmes, ils ne meurent pas avec eux. Et pourtant, ils les aiment mille fois mieux que leur vie…

Malgré son grand amour, Christophe était obligé, par moments, de fuir Olivier. Il était trop fort, il se portait trop bien, il étouffait dans cette peine sans air. Qu’il était honteux de lui ! Il avait la mort dans l’âme de ne pouvoir rien pour son ami ; et comme il avait besoin de se venger sur quelqu’un, il en voulait à Jacqueline. En dépit des paroles clairvoyantes de Mme  Arnaud, il continuait de la juger durement, comme il sied à une âme jeune, violente et entière, qui n’a pas encore assez appris de la vie pour n’être pas impitoyable envers ses faiblesses.

Il allait voir Cécile et l’enfant qui lui avait