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LES AMIES

même n’est pas une chose naturelle ; nous l’avons fabriquée. On dit que l’homme est un animal sociable. Quelle bêtise ! Il a bien fallu qu’il le devînt, pour vivre. Il s’est fait sociable pour son utilité, sa défense, son plaisir, sa grandeur. Cette nécessité l’a amené à souscrire certains pactes. Mais la nature regimbe et se venge de cette contrainte. La nature n’a pas été faite pour nous. Nous tâchons de la réduire. C’est une lutte : il n’est pas étonnant que nous soyons souvent battus. Comment sortir de là ? — En étant forts.

— En étant bons.

— Oh ! Dieu ! être bon, arracher son corset d’égoïsme, respirer, aimer la vie, la lumière, son humble tâche, le petit coin du sol où l’on enfonce ses racines. Ce qu’on ne peut avoir en horizons, s’efforcer de l’avoir en profondeur et en hauteur, comme un arbre à l’étroit qui monte vers le soleil !

— Oui. Et d’abord s’aimer les uns les autres. Si l’homme voulait sentir davantage qu’il est le frère de la femme, et non pas seulement sa proie, ou qu’elle doit être la sienne ! S’ils voulaient, tous les deux, dépouiller leur orgueil et penser, chacun, un peu moins à soi, et un peu plus à l’autre !… Nous sommes