Page:Rolland - Jean-Christophe, tome 8.djvu/275

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

265
LES AMIES

daine, des parlottes philanthropiques, de ce mélange odieux de frivolité, de bienfaisance et de bureaucratie, de cette façon de jouer avec la misère, entre deux flirts, en papotant ! Quand l’une d’elles, écœurée, a l’incroyable audace de se risquer seule au milieu de cette misère qu’elle ne connaît que par ouï-dire, quelle vision pour elle ! presque impossible à supporter ! C’est un enfer. Que peut-elle pour lui venir en aide ? Elle est noyée dans cette mer d’infortunes. Elle lutte cependant, elle s’efforce de sauver quelques-uns de ces malheureux, elle s’épuise pour eux, elle se noie avec eux. Trop heureuse, si elle a réussi à en sauver un ou deux ! Mais elle, qui la sauvera ? Qui s’inquiétera de la sauver ? Car elle souffre, elle aussi, de toute la souffrance des autres et de la sienne ; à mesure qu’elle donne sa foi, elle en a moins pour elle ; toutes ces misères s’accrochent désespérément à elle ; et elle n’a rien à quoi se retenir. Personne ne lui tend la main. Et parfois, on lui jette la pierre… Vous avez connu, Christophe, cette femme admirable qui s’était donnée à l’œuvre de charité la plus humble et la plus méritoire : elle recueillait chez elle les prostituées des rues qui venaient d’accoucher, les malheureuses filles dont l’Assistance publique ne voulait