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LA FIN DU VOYAGE

par une simple croyance d’amour qui est souvent une illusion, mais par une expérience d’années passées ensemble, d’années grises, médiocres, même avec — surtout avec le souvenir de ces dangers que l’on a surmontés. À mesure que l’on vieillit, cela devient meilleur.

Elle se tut, et brusquement rougit.

— Mon Dieu, comment ai-je pu raconter ?… Qu’est-ce que j’ai fait ?… Oubliez, Christophe, je vous en prie. Personne ne doit le savoir.

— Ne craignez rien, dit Christophe, en lui serrant la main. C’est une chose sacrée.

Mme Arnaud, malheureuse d’avoir parlé, se détourna un moment. Puis elle dit :

— Je n’aurais pas dû vous raconter… Mais voyez-vous, c’était pour vous montrer que même dans les ménages les plus unis, même chez les femmes… que vous estimez, Christophe…, il y a de ces heures, non pas seulement d’aberration, comme vous dites, mais de souffrance réelle, intolérable, qui peuvent conduire à des folies, et détruire toute une vie, voire deux. Il ne faut pas être trop sévère. On se fait bien souffrir, même quand on s’aime le mieux.

— Faut-il donc vivre seuls, chacun de son côté ?

— C’est encore pis pour nous. La vie de la