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LES AMIES

de faire Dieu sait quoi ! Je suis montée chez vous… Est-ce que vous vous souvenez ?… Vous n’avez pas compris pourquoi je venais. Je venais vous faire mes adieux… Et puis, je ne sais pas ce qui s’est passé, je ne sais pas ce que vous m’avez dit, je ne me rappelle plus exactement… mais je sais qu’il y a certains mots de vous… (vous ne vous doutiez pourtant pas…)… ils ont été pour moi une lumière… Peut-être n’est-ce pas ce que vous avez dit… Peut-être ce n’a-t-il été qu’une occasion ; il suffisait de la moindre chose, à ce moment, pour me perdre ou me sauver… Quand je suis sortie de chez vous, je suis rentrée chez moi, je me suis enfermée, j’ai pleuré tout le jour… Et après, c’était bien : la crise était passée.

— Et aujourd’hui, demanda Christophe, vous le regrettez ?

— Aujourd’hui ? dit-elle. Ah ! si j’avais fait cette folie, je serais au fond de la Seine depuis longtemps. Je n’aurais pu supporter cette honte, et le mal que j’aurais fait à mon pauvre homme.

— Alors, vous êtes heureuse ?

— Oui, autant qu’on peut être heureux, dans cette vie. C’est une chose si rare, d’être deux qui se comprennent, qui s’estiment, qui savent qu’ils sont sûrs l’un de l’autre, non