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LES AMIES

sent par devenir enragés, où ils sentent par moments un désir de faire du mal, de crier et de faire crier. Silence, noir silence, où l’amour achève de se désagréger, où les êtres, comme des mondes, chacun suivant son orbite, s’enfoncent dans la nuit… Ils en étaient venus à un point, où tout ce qu’ils faisaient, même pour se rapprocher, était une cause d’éloignement. Leur vie était intolérable. Un hasard précipita les événements.

Depuis un an, Cécile Fleury venait souvent chez les Jeannin. Olivier l’avait rencontrée chez Christophe ; puis Jacqueline l’avait invitée ; et Cécile continuait de les voir, même après que Christophe s’était séparé d’eux. Jacqueline avait été bonne pour elle : bien qu’elle ne fût guère musicienne et qu’elle trouvât Cécile un peu commune, elle goûtait le charme de son chant et son influence apaisante. Olivier avait plaisir à faire de la musique avec elle. Peu à peu, elle était devenue une amie de la maison. Elle inspirait confiance : quand elle entrait dans le salon des Jeannin avec ses yeux francs, son air de santé et de gaieté, son bon rire un peu gros qui faisait du bien à entendre, c’était comme un rayon de soleil qui pénétrait au milieu du brouillard. Le cœur d’Olivier et de Jacque-