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LES AMIES

pendant des semaines à l’immobilité, elle se rongeait ; sa pensée, déjà fiévreuse, ressassait indéfiniment la même plainte monotone et hallucinée : « Elle n’avait pas vécu, elle n’avait pas vécu ; et maintenant, sa vie était finie… » Car son imagination était frappée : elle se croyait estropiée pour toujours ; et une rancune sourde, âcre, inavouée, montait en elle contre la cause innocente de son mal, contre l’enfant. C’est là un sentiment moins rare qu’on ne croit ; mais on jette un voile dessus ; et celles même qui l’éprouvent ont honte d’en convenir, dans le secret de leur cœur. Jacqueline se condamnait ; un combat se livrait entre son égoïsme et l’amour maternel. Quand elle voyait l’enfant qui dormait comme un bienheureux, elle était attendrie ; mais aussitôt après, elle pensait avec amertume :

— Il m’a tuée.

Et elle ne pouvait refouler une révolte irritée contre le sommeil indifférent de cet être dont elle avait acheté le bonheur, de sa souffrance. Même après qu’elle fut guérie, quand l’enfant fut plus grand, ce sentiment d’hostilité persista obscurément. Comme elle en avait honte, elle le reportait contre Olivier. Elle continuait à se croire malade ; et le souci