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LA FIN DU VOYAGE

chent plus qu’à voir la vie : à peine à la comprendre, nullement à la vouloir. Quand ils ont reconnu dans la nature humaine et noté ce qui est, leur tâche leur parait accomplie, ils disent :

— Cela est.

Ils n’essaient point de le changer. Il semble qu’à leurs yeux le seul fait d’exister soit une vertu morale. Toutes les faiblesses se sont trouvées, du coup, investies d’une sorte de droit divin. Le monde se démocratise. Autrefois, le roi seul était irresponsable. Aujourd’hui, ce sont tous les hommes, et, de préférence, la canaille. Les admirables conseillers ! Avec beaucoup de peine et un soin scrupuleux, ils s’appliquent à démontrer aux faibles à quel point ils sont faibles, et que, de par la nature, il en a été décrété ainsi, de toute éternité. Que reste-t-il aux faibles, qu’à se croiser les bras ? Bien heureux, quand ils ne s’admirent point ! À force de s’entendre répéter qu’elle est une enfant malade, la femme s’enorgueillit de l’être. On cultive ses lâchetés, on les fait s’épanouir. Qui s’amuserait à conter complaisamment aux enfants qu’il est un âge dans l’adolescence, où l’âme qui n’a pas encore trouvé son équilibre est capable des crimes, du suicide, des pires