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LES AMIES

même, qui ne put se dispenser de venir à un des concerts, trouva le meilleur accueil auprès de l’ambassadeur. Cependant, quelques mots d’entretien lui montrèrent que son hôte, assez peu musicien, ne connaissait rien de ses œuvres. D’où venait donc cet intérêt subit ? Une main invisible semblait veiller sur lui, écarter les obstacles, lui aplanir la route. Christophe s’informa. L’ambassadeur fit allusion à deux amis de Christophe, le comte et la comtesse Berény, qui avaient une grande affection pour lui. Christophe ignorait jusqu’à leur nom ; et le soir qu’il vint à l’ambassade, il n’eut pas l’occasion de leur être présenté. Il n’insista pas pour les connaître. Il traversait une période de dégoût des hommes, où il faisait aussi peu fond sur ses amis que sur ses ennemis : amis et ennemis étaient également incertains ; un souffle les changeait ; il fallait apprendre à s’en passer, et dire, comme ce vieux homme du xviie siècle :

« Dieu m’a donné des amis ; il me les a ôtés. Ils m’ont laissé. Je les laisse, et n’en fais point mention. »

Depuis qu’il avait quitté la maison d’Olivier, Olivier ne lui avait plus donné signe de vie ; tout semblait fini entre eux. Christophe ne tenait pas à faire des amitiés nouvelles. Il