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LA FIN DU VOYAGE

mile à ceux pour qui il chante, et se dépouille de soi, pour vêtir les passions collectives qui soufflent sur le monde, comme une tempête. Françoise en éprouvait d’autant plus le besoin qu’elle était incapable de ce désintéressement, et qu’elle se jouait toujours elle-même. — La floraison désordonnée du lyrisme individuel a, depuis un siècle et demi, quelque chose de maladif. La grandeur morale consiste à beaucoup sentir et à beaucoup dominer, à être sobre de mots et chaste avec sa pensée, à ne la point étaler, à parler d’un regard, d’une parole profonde, sans exagérations enfantines, sans effusions féminines, pour ceux qui savent comprendre à demi-mot, pour les hommes. La musique moderne qui parle tant de soi et mêle à tout propos ses confidences indiscrètes est un manque de pudeur et un manque de goût. Elle ressemble à ces malades qui ne pensent qu’à leurs maladies et qui ne se lassent point d’en parler aux autres, avec des détails répugnants et risibles. Ce ridicule de l’art s’accuse toujours plus depuis un siècle. Françoise, qui n’était pas musicienne, n’était pas loin de voir un signe de décadence dans le développement même de la musique aux dépens de la poésie, comme un polype qui la dévore. Christophe protes-