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LA FIN DU VOYAGE

sut son nom, on le rappela sur l’escalier. Elle était au lit, elle allait mieux, elle avait eu une pneumonie, elle était assez changée ; mais elle avait toujours son air ironique et son regard aigu, qui ne désarmait point. Pourtant, elle montra un réel plaisir à voir Christophe. Elle le fit asseoir près du lit. Elle parla d’elle-même, avec un détachement railleur, et dit qu’elle avait failli mourir. Il se montra ému. Alors, elle le persifla. Il lui reprocha de ne lui avoir rien fait dire :

— Vous faire dire quelque chose ? Pour que vous veniez ? Jamais de la vie !

— Je parie que vous n’avez même pas pensé à moi.

— Et vous avez gagné, lui dit-elle, avec son sourire moqueur, un peu triste. Je n’y ai pas pensé une minute, pendant que j’étais malade. Seulement aujourd’hui, précisément. Ne vous attristez pas, allez. Quand je suis malade, je ne pense à personne, je ne demande qu’une chose aux gens, c’est qu’ils me fichent la paix. Je me mets le nez contre le mur, et j’attends, je veux être seule, je veux crever seule, comme un rat.

— C’est pourtant dur de souffrir seule.

— Je suis habituée. J’ai été malheureuse, pendant des années. Personne ne m’est ja-