Page:Rolland - Jean-Christophe, tome 8.djvu/151

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

141
LES AMIES

pas permis de se désintéresser des autres, et qu’on pourrait se faire tant de bien mutuellement, en s’aidant, en se consolant…

— Les consolations, dit-elle, ça ne prend pas sur moi…

Et comme Christophe insistait :

— Oui, dit-elle encore avec son sourire impertinent ; consolateur, c’est un rôle avantageux pour celui qui le joue.

Il fut un moment avant de comprendre. Quand il comprit, quand il s’imagina qu’elle le soupçonnait de chercher son propre intérêt, alors qu’il ne pensait qu’à elle, il se leva indigné, ouvrit la portière, et voulut sortir, bien que le train fût en marche. Elle l’empêcha, non sans peine. Il se rassit furieux, et referma la portière, juste au moment où le train passait sous un tunnel.

— Voyez, dit-elle, vous auriez pu être tué.

— Je m’en fous, dit-il.

Il ne voulait plus lui parler.

— Le monde est trop bête, dit-il. On se fait souffrir, on souffre ; et quand on veut venir en aide à quelqu’un, il vous soupçonne. C’est dégoûtant. Tous ces gens-là ne sont pas humains.

Elle tâcha de le calmer, en riant. Elle lui posa sa main gantée sur la main ; elle lui