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LA FIN DU VOYAGE

elle, il représentait toute une part du passé d’Olivier, où elle n’était point ; et plus il avait tenu de place dans la vie d’Olivier, plus elle cherchait, d’instinct, à la lui voler. Sans calcul de sa part, elle détachait sourdement Olivier de son ami ; elle ironisait les manières de Christophe, sa figure, ses façons d’écrire, ses projets artistiques ; elle n’y mettait aucune méchanceté, aucune rouerie même : la bonne nature s’en chargeait pour elle. Olivier s’amusait de ses remarques ; il n’y voyait pas malice ; il croyait aimer toujours autant Christophe ; mais ce n’était plus que sa personne qu’il aimait : ce qui est peu en amitié ; il ne s’apercevait pas que peu à peu il cessait de le comprendre, il se désintéressait de sa pensée, de cet idéalisme héroïque, en qui ils avaient été unis… L’amour est pour un jeune cœur une douceur trop forte ; auprès de lui, quelle autre foi peut tenir ? Le corps de la bien-aimée, son âme que l’on cueille sur cette chair sacrée, sont toute science et toute foi. De quel sourire de pitié on regarde ce qu’adorent les autres, ce que soi-même jadis on adora ! De la puissante vie et de son âpre effort, on ne voit plus que la fleur d’une heure, que l’on croit immortelle… L’amour absorbait Olivier. Au commence-