Page:Rolland - Jean-Christophe, tome 7.djvu/71

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


Christophe s’habituait peu à peu à l’air de la liberté illimitée. Des sommets de la pensée française, où rêvent les esprits qui sont toute lumière, il regardait à ses pieds les pentes de la montagne, où l’élite héroïque qui lutte pour une foi vivante, quelle que soit cette foi, s’efforce éternellement de parvenir au faîte ; — ceux qui mènent la guerre sainte contre l’ignorance, la maladie, la misère ; la fièvre d’inventions, le délire raisonné des Prométhées et des Icares modernes, qui conquièrent la lumière et frayent les routes de l’air ; le combat gigantesque de la science contre la nature qu’elle dompte ; — plus bas, la petite troupe silencieuse, les hommes et les femmes de bonne volonté, les cœurs braves et humbles, qui, au prix de mille efforts, ont atteint à mi-côte, et ne peuvent aller plus haut, rivés à une vie médiocre et difficile, se brûlant en secret dans d’obscurs dévouements ; — plus bas, à la base de la montagne, dans l’étroit défilé entre les pentes escarpées, la bataille sans fin, les fanatiques d’idées abstraites, d’instincts aveugles, qui s’étreignent furieusement et ne se doutent point qu’il y a quelque chose au

— 59 —