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DANS LA MAISON

Et Christophe pensait aussi à toutes les humbles âmes qu’il avait connues. Combien il se sentait près d’elles, en ce moment ! Au sortir de ces années de luttes épuisantes, dans le brûlant Paris, où se mêlent furieusement les idées et les hommes, au lendemain de cette heure tragique, où avait soufflé le vent des folies meurtrières qui lancent les uns contre les autres les peuples hallucinés, une lassitude prenait Christophe de ce monde fiévreux et stérile, de ces batailles d’égoïsmes et d’idées, de ces élites humaines, ces ambitieux, ces penseurs, ces artistes, qui se croient la raison du monde et n’en sont que le mauvais rêve. Et tout son amour allait à ces milliers d’âmes simples, de toute race, qui brûlent en silence, pures flammes de bonté, de foi, de sacrifice, — cœur du monde.

— Oui, je vous reconnais, je vous retrouve enfin, pensait-il, vous êtes de mon sang, vous êtes miennes. Comme l’enfant prodigue, je vous ai quittées, pour suivre les ombres qui passaient sur le chemin. Je reviens à vous, accueillez-moi. Nous sommes un seul être, vivants et morts ; où que je sois, vous êtes avec moi. Maintenant, je te porte en moi, ô mère, qui m’as porté. Vous tous, Gottfried, Schulz, Sabine, Antoinette, vous êtes tous en moi. Vous êtes ma richesse, ma joie. Nous ferons route ensemble. Je ne vous quitterai plus. Je serai votre voix. Par nos forces unies, nous atteindrons au but.