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DANS LA MAISON

— C’est une chose terrible, dit Olivier. J’aime mon pays, comme toi. J’aime ma chère France ; mais puis-je tuer mon âme pour elle ? Puis-je pour elle trahir ma conscience ? Ce serait la trahir elle-même. Comment pourrais-je haïr, sans haine, ou jouer, sans mensonge, la comédie de la haine ? L’État moderne a commis un crime odieux, — un crime qui l’écrasera, — le jour où il a prétendu lier à sa loi d’airain la libre Église des esprits, dont l’essence est de comprendre et d’aimer. Que César soit César, mais qu’il ne prétende pas être Dieu ! Qu’il nous prenne notre argent, nos vies : il n’a pas droit sur nos âmes ; il ne les ensanglantera point. Nous sommes venus en ce monde pour répandre la lumière, non pour l’éteindre. À chacun son devoir ! Si César veut la guerre, que César ait des armées pour la faire, des armées comme autrefois, dont la guerre était le métier ! Je ne suis pas assez sot pour perdre mon temps à gémir en vain contre la force. Mais je ne suis pas de l’armée de la force. Je suis de l’armée de l’esprit ; avec des milliers de frères, j’y représente la France. Que César conquière la terre, s’il veut ! Nous conquérons la vérité.

— Pour conquérir, dit Christophe, il faut vaincre, il faut vivre. La vérité n’est pas un dogme dur, sécrété par le cerveau, comme un stalactite par les parois d’une grotte. La vérité, c’est la vie. Ce n’est pas dans votre tête que vous devez la chercher. C’est dans le cœur des autres.