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JEAN-CHRISTOPHE À PARIS

Ce cri naïf, sorti du cœur, fit rire Christophe, et Olivier lui-même, un peu confus.

— Eh bien ! dit Christophe, est-ce que c’est une raison pour un Français ?

Olivier se défendait toujours :

— Mais pourquoi ? Pourquoi voulez-vous ?

— Je vous le dirai tout à l’heure. Jouez.

— Quoi ?

— Tout ce que vous voudrez.

Olivier, avec un soupir, vint s’asseoir au piano, et, docile à la volonté de l’impérieux ami qui l’avait choisi, il commença, après une longue incertitude, à jouer le bel Adagio en si mineur, de Mozart. D’abord, ses doigts tremblaient et n’avaient pas la force d’appuyer sur les touches ; puis, peu à peu, il s’enhardit ; et, croyant ne faire que répéter les paroles de Mozart, il dévoila, sans le savoir, son cœur. La musique est une confidente indiscrète : elle livre les plus secrètes pensées de ceux qui l’aiment à ceux qui l’aiment. Sous le divin dessin de l’Adagio de Mozart, Christophe découvrait les invisibles traits, non de Mozart, mais de l’ami inconnu qui jouait : la sérénité mélancolique, le sourire timide et tendre de cet être nerveux, pur, aimant et rougissant. Mais arrivé presque à la fin de l’air, au sommet où la phrase de douloureux amour monte et se brise, une pudeur insurmontable empêcha Olivier de poursuivre ; ses doigts se turent, et la voix lui manqua. Il détacha ses mains du piano, et dit :