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JEAN-CHRISTOPHE À PARIS

avec un peu plus de tapage que d’habitude, et l’une des voix d’enfant, qui disait à la petite sœur :

— Ne fais pas tant de bruit, Lucette, tu sais, Christophe a dit, à cause de la dame qui a du chagrin.

Et l’autre se mit à assourdir ses pas et à parler tout bas. Alors Mme Germain n’y tint plus : elle ouvrit la porte, et elle saisit les enfants, elle les embrassa avec violence. Elles eurent peur ; l’une des fillettes se mit à crier. Elle les lâcha, et elle rentra chez elle.

Depuis, quand elle les rencontrait, elle essayait de leur sourire, d’un sourire crispé, — (elle avait perdu l’habitude de sourire) ; — elle leur adressait quelques paroles brusques et affectueuses, auxquelles les enfants intimidées ne répondaient que par des chuchotements oppressés. Elles continuaient d’avoir peur de la dame, plus peur qu’auparavant ; et lorsqu’elles passaient devant sa porte, maintenant, elles couraient, de crainte qu’elle ne les attrapât. Elle, de son côté, se cachait pour les voir. Elle eût eu honte qu’on l’aperçût, causant avec les enfants. Elle avait honte, à ses propres yeux. Il lui semblait qu’elle volait à sa petite morte un peu de l’amour, auquel celle-ci avait droit, tout entier. Elle se jetait à genoux et lui demandait pardon. Mais maintenant que l’instinct de vivre et d’aimer était réveillé, elle ne pouvait plus rien contre lui, il était le plus fort.