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JEAN-CHRISTOPHE À PARIS

Un pressement de doigt de cet animal qui me hait peut m’effacer de la vie… Allons donc !… — Oui, demain, dans deux jours, je pourrai être couché dans cette terre nauséabonde de Paris… — Bah ! ici ou ailleurs !… Ah ! çà, est-ce que je serais lâche ? — Non, mais il serait infâme de perdre dans une niaiserie tout le monde de pensées, que je sens pousser en moi… Au diable, ces luttes d’aujourd’hui, où l’on prétend égaliser les chances des adversaires ! La belle égalité, que celle qui donne à la vie d’un drôle autant de prix qu’à la mienne ! Que ne nous met-on en présence avec nos poings et des bâtons ! Ce serait un plaisir. Mais cette froide fusillade !… Et naturellement, il sait tirer, et je n’ai jamais tenu un pistolet… Ils ont raison ; il faut que j’apprenne… Il veut me tuer ? C’est moi qui le tuerai. »

Il descendit. Il y avait un tir, à quelques pas de sa maison. Christophe demanda une arme, et se fit expliquer comment il fallait la tenir. Au premier coup, il faillit tuer le gérant ; il recommença deux fois, trois fois, et ne réussit pas mieux ; il s’impatienta : ce fut bien pis. Autour de lui, quelques jeunes gens regardaient et riaient. Il n’y faisait pas attention. Avec sa ténacité d’Allemand, il s’obstina, si indifférent aux moqueries et si décidé à réussir que, comme il arrive toujours, on ne tarda pas à s’intéresser à cette patience maladroite ; un des spectateurs lui donna des conseils. Lui, si violent d’habitude, écoutait