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JEAN-CHRISTOPHE À PARIS

c’est notre génie latin qui est impérial. Nous sommes les citoyens de la Ville-Univers. Urbis. Orbis.

— Tout cela va bien, dit Christophe, tant que la nation est saine et dans la fleur de sa virilité. Mais un jour vient où son énergie tombe ; alors, elle risque d’être submergée par cet afflux étranger. Entre nous, ne te semble-t-il pas que ce jour est venu ?

— On l’a dit tant de fois depuis des siècles ! Et toujours notre histoire a démenti ces craintes. Nous avons traversé de bien autres épreuves, depuis le temps de la Pucelle, où, dans Paris désert, des bandes de loups rôdaient. Tout le débordement d’immoralité, la ruée au plaisir, la veulerie, l’anarchie de l’heure présente ne m’effraient point. Patience ! Qui veut durer, doit endurer. Je sais très bien qu’il y aura ensuite une réaction morale, — qui, d’ailleurs, ne vaudra pas beaucoup mieux, et qui conduira probablement à des sottises pareilles : les moins bruyants à la mener ne seront pas ceux qui vivent aujourd’hui de la corruption publique !… Mais que nous importe ? Tous ces mouvements n’effleurent pas le vrai peuple de France. Le fruit pourri ne pourrit pas l’arbre. Il tombe. Au reste, tous ces gens-là sont si peu de la nation ! Que nous fait qu’ils vivent ou qu’ils meurent ? Vais-je m’agiter pour former contre eux des ligues et des révolutions ? Le mal présent n’est pas l’œuvre d’un régime.